swanchika: (Malo)
[personal profile] swanchika
Bonjour bonjour ! Eh oui, c'est encore moi (who else ?), lancée sur un nouveau projet, à savoir la traduction des nouvelles qui accompagnent la version 1.2 (si ma mémoire est bonne) de Amnesia: The Dark Descent. Ces cinq histoires courtes plus un épilogue, écrites par Mikael Hedberg (le scénariste du jeu) et illustrées par Rasmus Gunnarsson et Jonas Steinick, sont diversement liées aux évènements du jeu, et la première s'intéresse en particulier à Wilhelm et Emil ; autrement dit, l'homme de main d'Alexandre, et un de ceux qu'il a fait prisonniers (pour ceux qui ont le jeu en tête, Emil est celui que l'on entend se lamenter dans la prison).
 
 
La Maison de Gerich

 

Altstadt n'a jamais connu beaucoup de crimes, mais il y eut une période sombre entre le début de l'hiver 1702 et la fin de l'été 1704. Durant ces années, pas moins de trente-neuf hommes furent arrêtés et emprisonnés dans les cachots du château de Brennenburg. Dans la plupart des cas, les familles des criminels étaient bannies de la région, ôtant de fait quatre-vingt-six âmes à la population déjà déclinante d'Altstadt. Le bureau de la magistrature n'a quasiment aucun registre sur ces crimes, la plupart des arrestations ayant été menées par un noble inconnu nommé Wilhelm.

Klaas Gottschall

Université de Königsberg

 

Le magistrat parcourait du regard les documents posés sur son bureau. De temps en temps, il repérait quelque chose, ajustait ses lunettes, et essayait de déchiffrer l'écriture centenaire.

– Je ne sais que vous dire, Herr Gottschall...

– S'il vous plaît, appelez-moi Klaas.

– Herr Klaas, il ne semble pas y avoir grand-chose là-dedans.

– J'en suis conscient.

Le magistrat se redressa et fixa Klaas, attendant une explication. Son interlocuteur fouilla dans son sac pour en sortir un livre épais, qu'il plaça sur le bureau.

– Connaissez-vous Héritage, de Ludwig Kleist ?

Le magistrat craignait que l'historien en face de lui ne se lance dans une interminable conférence.

– Quelle importance ? rétorqua-t-il, ne réalisant que trop tard la brusquerie de ses propos.

Klaas afficha une expression confuse.

– Puis-je vous servir à boire ? se reprit le magistrat, tentant de se racheter. Il se leva vivement et alla chercher dans un placard deux verres et une bouteille de liqueur.

– Merci. Si je vous posais cette question, c'est parce que Herr Kleist est à l'origine de l'enquête la plus approfondie sur le destin de la Maison de Gerich, expliqua enfin Klaas.

– Qui ? demanda le magistrat en servant son interlocuteur.

– Wilhelm, l'auteur des arrestations, appartenait à la Maison de Gerich.

– Ah, bien sûr, soupira le magistrat, toujours confus.

– Je veux continuer de là où il s'est arrêté.

– Je vois... et qu'est-ce que cela signifie ?

– Son livre ne révèle pas vraiment ce qu'il est advenu de Wilhelm. Il ne fait que parler brièvement de quelques-unes des affaires sur lesquelles il a travaillé durant son séjour à Altstadt. Je veux essayer de comprendre ce qui lui est arrivé.

Les deux hommes levèrent leur verre et trinquèrent en silence.

– Fort bien, en quoi la magistrature peut-elle vous aider ?

– Pour deux choses. J'aimerais tout d'abord savoir s'il y a quoi que ce soit qui puisse étayer la théorie que Wilhelm travaillait pour le Baron de Brennenburg afin d'arrêter la montée du crime. Wilhelm était inconnu de la majorité et Kleist pense qu'il travaillait pour le Baron afin de gagner de l'influence dans les sphères les plus élevées.

– Pour vous répondre, je n'ai qu'à regarder ce mur.

Le magistrat se leva, désignant un pan de mur entièrement couvert de documents encadrés.

– Voici toutes les déclarations faites par la Baronnie de Brennenburg depuis... (le magistrat alla regarder de plus près le document le plus à gauche) ... depuis 1599, et il n'y en a aucune qui mentionne un tel partenariat.

Klaas examina pendant un moment quelques-une des déclarations.

– Sauf votre respect, cela ne prouve pas qu'il n'y a pas eu d'accord, mais plutôt que la baronnie a été fort silencieuse.

– Pas silencieuse, privée. Si accord il y a eu, la magistrature ne sait rien à ce sujet. Par conséquent, je ne puis vous aider.

– C'est dommage.

– Vous pouvez demander directement une audience avec le baron Alexandre.

– Je l'ai fait, mais je n'ai pas reçu de réponse.

Perdu dans ses pensées, Klaas alla vers la fenêtre et regarda à l'extérieur. Il observa les gens sur la grand-place, chacun vaquant à ses occupations. C'était ainsi qu'il aimait à observer le monde, protégé par une épaisse vitre.

– Quelle était l'autre chose ? demanda le magistrat.

– Pardon ?

– Vous avez dit que vous aviez besoin d'aide pour deux choses.

– Il me faut les registres concernant l'incendie.

 

Klaas sortit et s'avança sur la place. Il prit une grande inspiration, tentant de maîtriser son inconfort. Ses yeux parcoururent la scène et ses personnages, les jeunes femmes qui riaient en portant des sacs de farine à la boulangerie, le garçon qui amenait l'un des chevaux devant l'auberge, le prêtre parlant à une vieille dame. L'historien leva les yeux au ciel et inspira de nouveau. Les espaces ouverts l'avaient toujours rendu nerveux. Il savait que c'était stupide, mais ne pouvait le contrôler. Il marcha d'un pas rapide vers le coche et monta dedans.

 

L'attelage se dirigeait vers le sud, vers la vieille ferme décrite dans les documents officiels. Le jeudi 28 septembre 1704, un incendie avait ravagé une étable à quelques lieues au sud d'Altstadt. Cela avait été la dernière affaire de Wilhelm. Les registres donnés par le magistrats donnaient des témoignages, mais il y manquait une déclaration conclusive de Wilhelm. Le sort du justicier et de l'incendiaire étaient inconnus. Un bailli de Königsberg avait été envoyé pour retrouver Wilhelm, mais était reparti au début de l'hiver de la même année, expliquant que la criminalité avait baissé à Altstadt et qu'il n'y avait aucune trace de l'aristocrate.

Ludwig Kleist, l'auteur d'Héritage, avait de l'issue de tout ceci une vision plutôt optimiste.

 

Il va de soi que nous manquons d'informations sur environ la moitié de la vie de Wilhelm. En 1704, quand il n'avait que trente-quatre ans, nous trouvons les derniers documents détaillant son œuvre. Wilhelm avait été engagé deux ans auparavant par le baron Alexandre de Brennenburg comme agent de justice secret. Le baron Alexandre, un prestigieux chevalier de l'Ordre de l'Aigle Noir, a dû réaliser que la montée du crime ne pouvait être endiguée par la magistrature et les baillis de Königsberg, et acquit donc la force du soldat renommé de la Maison de Gerich. Cet arrangement ne reçut certainement pas le sceau royal, du moins pas officiellement, et si l'on enquêtait dessus, il se révèlerait sans doute sans valeur au plan juridique. En 1704, un bailli de Königsberg fut envoyé à Altstadt pour interroger Wilhelm au sujet des arrestations qu'il a menées. On peut affirmer avec certitude que Wilhelm fut forcé de cesser ses activités, mais fut autorisé à partir de son plein gré, car aucun document ne fait acte de cette rencontre. Étant donné que l'arrivée du bailli coïncide avec la dernière affaire de Wilhelm, ce fait semble des plus évidents.

Ludwig Kleist, Héritage

 

Le coche s'engagea sur une petite route de terre. Les cahots empêchèrent Klaas de lire plus avant. Il réfléchit à la phrase qu'il venait de terminer. Héritage était une lecture agréable, bien que pleine à craquer de spéculations.

– Maître Gottschall, nous sommes arrivés, prévint le cocher.

Klaas inspira et sortit. La campagne ne le dérangeait pas tellement. Tant qu'il n'y avait pas trop de monde aux alentours, il pouvait garder son calme. Deux maisons étaient debout, et une troisième était en construction. Un des ouvriers laissa son ouvrage pour aller s'approcher du coche.

– Bonjour !

– Herr Stoss ? demanda Klaas.

– Non, il n'y a pas de Stoss par ici, répondit aussitôt l'homme. Je m'appelle Zimmermann.

– Je vois. Herr Zimmermann, me permettez-vous d'explorer un peu les environs ? Je viens de Königsberg pour enquêter sur l'incendie.

– Un incendie ?

– Oui, en 1704. Il y a eu un incendie de grande ampleur ici même.

– 1704 ? s'esclaffa Zimmermann. Mais c'était il y a plus de soixante-dix ans !

– Oui, j'en suis conscient.

– Oh, alors venez. Comment vous appelez-vous, monsieur le bailli ?

– Klaas, mais je ne suis pas bailli. Je suis un historien.

– Ah, voilà qui est mieux !

 

Le site de l'incendie n'avait jamais été complètement nettoyé, et était toujours parsemé de morceaux de bois calciné. Zimmermann ne s'en souciait guère, car le terrain faisait toujours un bon pâturage. Klaas n'était pas sûr de savoir ce qu'il cherchait, mais il espérait trouver quelque chose. Il parcourut l'étendue herbeuse, faisant des allers-retours entre la forêt et le reste des maisons. Les hommes travaillaient sur la maison, pendant que le cocher fumait une pipe, et pendant un moment, Klaas se demanda ce qu'il faisait ici. Il relut les documents racontant l'évènement. Les deux maisons étaient sans doute ce qui restait de la ferme de Stoss. Klaas se trouvait là où il y avait autrefois eu l'étable. Emil, le garçon de ferme, l'avait incendiée alors que son maître s'y trouvait. Le feu s'était rapidement propagé...

Impossible. L'étable était immense. Si rapidement que se soit répandu l'incendie, il avait dû mettre un moment avant de l'engloutir. Qu'est-ce qui avait empêché le fermier de se sauver et comment Wilhelm avait-il fait pour arriver si vite ?

 

Wilhelm savait qu'Emil préparait un mauvais coup. Un de ses hommes a suivi Emil cette nuit et l'a pris la main dans le sac alors qu'il incendiait l'étable. Après avoir alerté la famille, l'homme de Wilhelm est allé chercher son maître pour qu'il arrête Emil.

Témoignage de Dorothea Stoss

 

Klaas revint à Altstadt. Ses propres soupçons étaient aussi infondées que le conte de fées de Kleist, mais quelque chose lui semblait étrange dans toute cette affaire. Il ouvrit la lourde porte menant à l'église. Le prêtre allumait des bougies alors que l'après-midi nuageux laissait la nef dans l'obscurité.

– Mon père ? appela Klaas.

– Bienvenue, mon fils.

– J'ai besoin de votre aide.

– Dieu répond à tous ceux qui prient.

– A vrai dire, l'aide dont j'ai besoin est plutôt matérielle. J'aimerais avoir accès aux registres de l'église. Il faut que je sache ce qui est arrivé à Dorothea Stoss.

– Ce qui lui est arrivé ? Que voulez-vous dire ? s'étonna le prêtre.

– J'ai besoin de savoir ce qu'il est advenu de la ferme après le feu, le pressa Klaas.

– Je ne suis pas sûr de vous suivre, mais Dorothea a vécu ici avec sa fille, Anna, pendant des années. Elle est morte maintenant, cela doit faire quinze ou vingt ans.

– Sa fille ? Est-elle toujours vivante ?

 

Anna, la fille de Dorothea, avait épousé un homme de la famille Koch en 1718 et avait quitté la maison familiale. Une longue décennie plus tard, Dorothea vint s'installer chez sa fille. La ferme fut laissée à l'abandon et la terre fut laissée en jachère pendant vingt ans, jusqu'à sa vente à la suite de la mort de Dorothea.

Klaas sourit de sa pêche miraculeuse. Mais il n'y avait toujours que peu de choses au sujet de l'évènement en lui-même, et pas la moindre trace d'Emil le garçon de ferme. Il n'y avait plus qu'une chose à faire : aller trouver Anna Koch en espérant qu'elle aurait quelque chose à dire. Elle avait six ans au moment de l'incendie et il espérait qu'elle avait été suffisamment marquée pour se souvenir de certaines choses.

Klaas ressortit de l'église, restant près des bâtiments pour s'épargner un autre accès de panique. Il s'engagea dans une ruelle et croisa un fermier chargé d'une caisse de navets. Anna Koch était une veuve assez riche, qui vivait avec une domestique dans une maison de ville modeste, mais bien entretenue. Klaas rajusta et épousseta sa veste, et frappa à la porte. La servante qui lui ouvrit était une femme d'âge mûr arborant un large sourire. Elle invita Klaas à entrer.

– Puis-je vous offrir à boire ? A manger ? proposa-t-elle.

– Merci, mais non merci. Je voulais voir Anna Koch.

– Bien sûr, suivez-moi.

 

La servante guida Klaas jusqu'à un petit salon à l'étage. Anna était assise sur un fauteuil à côté de la fenêtre. La pièce était égayée par des tableaux, des porcelaines, et un beau tapis couvrant une large portion du parquet de bois poli. Un feu crépitait encore dans l'âtre.

– Madame ? dit la servante. Ce jeune homme voudrait vous voir. Vous voulez bien le recevoir ?

– Oui, bien sûr. Que puis-je pour vous ? demanda Anna Koch en se tournant vers Klaas.

– Frau Koch, je m'appelle Klaas Gottschall. Je travaille à l'université de Königsberg. Puis-je vous poser quelques questions ?

– Je vous en prie, asseyez-vous.

Klaas prit place sur une chaise robuste en face d'Anna. Il regarda par la fenêtre. La rue sur laquelle elle donnait était tout à fait ordinaire. La monotonie des façades n'était quelque peu rompue que par l'enseigne d'un cordonnier.

– J'aime voir le monde s'animer, expliqua Anna.

– Moi aussi, avoua Klaas.

Ils restèrent un moment silencieux, regardant la ville, les forêts qui l'entouraient, le soleil qui commençait à se coucher.

– Vous souvenez-vous de l'incendie de 1704 ? demanda finalement Klaas.

– Oh, ciel, je n'y ai pas repensé depuis des années ! Pourquoi cette question ?

– J'essaye de comprendre ce qui est arrivé à Wilhelm et au garçon de ferme...

– Emil, intervint-elle. C'était un homme si bon.

– Je suis étonné de vous entendre dire ça.

– Pourquoi donc ?

– Il a tué votre père.

– Ne soyez pas ridicule.

 

Emil devait parfois dormir tout seul dans l'étable. Il avait vingt ans, mais il avait toujours peur du noir, alors je venais lui apporter une lampe à huile pour qu'il s'éclaire. Il s'était endormi une nuit avec la lampe allumée. Il s'est ensuite réveillé en hurlant. L'étable était en feu. Toute la famille s'était rassemblée dans la cour, mais notre père a décidé de revenir dans l'étable pour faire sortir les animaux. Comme vous le savez, il n'est jamais ressorti. Emil pleurait de toute son âme. J'ai essayé de le réconforter, parce que je ne comprenais pas encore ce qui s'était passé. Plus tard, ce Wilhelm est arrivé avec ses hommes, et a dit à Emil de les suivre. Nous, les enfants, nous n'en avons rien vu de plus, mais notre père a parlé aux agents, et a ensuite écrit une déposition aux magistrats du village.

Anna Koch, née Stoss

 

Qu'est-il arrivé à Emil ?

Il a dû être puni, mais c'était un accident et tout le monde le savait... Je pense que sa punition n'a pas été très sévère, comparée à ce que lui infligeait sa propre culpabilité.

Klaas songea à relayer à Anna les dures paroles que sa mère avait eues à l'égard d'Emil. Une telle déposition lui aurait certainement valu quelques années de prison. Mais qu'aurait-il à gagner à lui dire cela, et qu'aurait-elle fait de ces informations ? Klaas décida de se taire.

Que reste-t-il ? se demanda-t-il. Il ne restait plus qu'un endroit à visiter ; le château de Brennenburg.

 

Alors que son coche s'engageait dans la cour du château de Brennenburg, Klaas eut un sentiment d'abandon. Tout était si calme et serein. Y avait-il vraiment âme qui vive ici ?

Klaas referma la porte du coche derrière lui et regarda ses alentours. La cour était pavée, pas de pierres carrées et régulières comme sur le parvis de l'université de Königsberg, mais de gros galets comme ceux que l'on pourrait trouver au bord de la mer. Le château se dressait devant lui, magnifique structure gothique aux innombrables fenêtres et parapets.

Dois-je vous attendre, monsieur ? demanda le cocher.

S'il vous plaît, répondit Klaas, je ne serai pas long.

Il alla jusqu'aux grandes doubles portes d'un pas qui se voulait assurer et frappa trois coups avec le lourd heurtoir de bronze.

 

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